Au regard de cette actualité politico-juridique, un bref rappel des missions de la Cour constitutionnelle guinéenne et des personnes habilitées à la saisir s’impose pour une bonne compréhension de ses décisions.
La méconnaissance de ses compétences et des procédures de sa saisine peut avoir des conséquences fâcheuses sur l’État de droit que nous voulons bâtir dans notre pays, dès lors que la Cour constitutionnelle ne dispose pas de pouvoir d’autosaisine. Seuls, certains organes de l’État peuvent la saisir directement. Les citoyens ne peuvent accéder directement par voie d’action au prétoire du Juge constitutionnel.
Ainsi, comprendre le fonctionnement de la cour constitutionnelle, « clé de voute » de nos institutions, permettra aux citoyens de s’en approprier et se prémunir contre l’arbitraire du pouvoir.
Dans l’histoire constitutionnelle guinéenne le terme de justice constitutionnelle est apparu pour la première fois par la constitution du 14 mai 1982[2] qui prévoyait la mise en place d’un conseil constitutionnel.
Toutefois, l’effectivité d’une justice constitutionnelle ne sera possible qu’en 1994 à l’issue de l’élection présidentielle de 1993 dans le cadre de la loi fondamentale de 1990, qui a institué une Cour suprême composée de trois chambres dont la chambre constitutionnelle et administrative. Cette chambre a exercé les attributions constitutionnelles jusqu’au démarrage effectif des activités de l’actuelle cour constitutionnelle en 2015.
Cette dernière a été instituée par la constitution du 07 mai 2010. C’est une juridiction spéciale, distincte, indépendante et unique compétente en matière constitutionnelle et électorale. Il ne faudrait pas l’assimiler à une juridiction suprême, la cour constitutionnelle n’est pas une juridiction de cassation des jugements et arrêts des juridictions inférieures.
Conformément aux articles 93 et 94 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est compétente en matière constitutionnelle, électorale et des droits et libertés fondamentaux.
La Cour juge de la constitutionnalité des lois, de certains actes du Président de la République, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités internationaux à la constitution, (I) toutefois, l’accès à son prétoire est limité à certains organes constitués de l’État, les citoyens ne peuvent y accéder la saisir directement (II).
Avant d'examiner les compétences de la Cour, il convient de rappeler des notions essentielles qui peuvent paraitre absconses pour les non juristes afin de permettre au plus grand nombre de comprendre le fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Constitution: Loi suprême adoptée selon une procédure spéciale qui définit les droits et les libertés des citoyens ainsi que les règles d’organisation et de fonctionnement des différentes institutions qui composent l'État et leurs relations entre elles.
Loi organique: Disposition législative relative à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics. Elle précise ou complète les dispositions de la Constitution qui a fixé les principes généraux.
Loi ordinaire « En guinée une loi ordinaire est un acte législatif voté par le l’assemblée nationale dans des domaines expressément prévus par la constitution (Article 72 de la constitution 2010).
Contrôle de constitutionnalité : Contrôle juridictionnel exercé par le juge constitutionnel afin de s’assurer que les normes inférieures (lois, règlements…) respectent la Constitution située au sommet de la hiérarchie des normes.
Deux types de contrôle doivent être distingués :
D’une part, “le contrôle a priori”, qui s’exerce par voie d’action, c’est à dire directement hors du cadre d’un procès et avant l’entrée en vigueur de la loi. Il intervient entre l’adoption définitive de la loi par l’assemblée nationale et sa promulgation par le Président de la République. Ce contrôle garantit la sécurité juridique, la loi n’ayant pas encore été appliquée lorsqu’elle est contrôlée et permet à l’opposition minoritaire de contester les lois votées la majorité parlementaire, plus généralement l’État de droit.
Et d’autre part, “le contrôle a posteriori”, qui s’exerce par voie d’exception c’est à dire indirectement à l’occasion d’un procès, les citoyens peuvent a posteriori soulever une exception d’inconstitutionnalité d’une loi déjà entrée en vigueur qui méconnaitrait la constitution .
Ayant rappelé ces notions, il faudrait maintenant rappeler les compétences de la cour et leurs mises en œuvre, avant d’aborder les autorités habilitées à saisir la Cour.
I- LES COMPÉTENCES DE LA COUR
La cour constitutionnelle guinéenne dispose des compétences juridictionnelles et des compétences consultatives. Dans le cadre de cet article je passerai sous silence sur ses compétences consultatives, pour concentrer l’analyse sur ses compétences juridictionnelles et leurs mises en œuvre.
A- LES COMPÉTENCES JURIDICTIONNELLES DE LA COUR
L’une des caractéristiques de la cour constitutionnelle guinéenne à l’instar des cours constitutionnelles de la sous-région réside dans le fait qu’elle bénéficie du monopole du contentieux des élections nationales et référendaires et du contrôle de constitutionnalité des lois et de la conformité des traités internationaux à la constitution.
Le contentieux électoral et référendaire
La cour constitutionnelle a une compétence exclusive pour les opérations de référendum, de l’élection présidentielle et des élections législatives[3] . Elle vérifie notamment, l’éligibilité des candidats, examine les réclamations, la régularité du scrutin. En résumé, elle est le juge du contentieux des opérations électorales nationales et référendaires.
En matière électorale, tout candidat ou parti politique à l’élection présidentielle ou législative peut contester la validité des élections devant la cour constitutionnelle[4]. Il s’agit du seul cas où le prétoire du juge constitutionnel est ouvert aux citoyens (candidats) directement par voie d’action.
Le contrôle de constitutionnalité des normes
Le contrôle de constitutionnalité s’étend à ce qu’il est convenu d’appeler le « bloc de constitutionnalité » qui comprend notamment le préambule de la Constitution et aux textes auxquels il renvoie, à savoir : Les droits établis dans la chartes des nations unies, la déclaration universelle des droits de l’homme, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et ses protocoles additionnels relatifs aux droits de la femme ainsi que les traité révisé de la C.E.D.E.A.O et ses protocoles sur la démocratie et la bonne gouvernance qui font partie intégrante de la Constitution.
B- MISE EN ŒUVRE DU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Le contrôle a priori : Le contrôle de constitutionnalité est obligatoire pour les lois organiques[5] qui sont transmises par le président de la République à la cour avant leur promulgation et pour les règlements intérieurs des institutions constitutionnelles (Assemblée Nationale, H.A.C, I.N.I.D.H…) avant leur mise en application.
S’agissant des lois ordinaires, le contrôle est facultatif, Elles peuvent être déférées avant leurs promulgations soit par le Président de la République, soit par le Président de l’Assemblée Nationale ou 1/10ème des députés[6] (contrôle a priori par voie d’action).
Les lois censées porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques sont transmises soit par le Président de la République, soit par l’Assemblée Nationale, soit par l’institution nationale indépendante des droits humains, soit par la commission électorale nationale indépendante.
S’agissant des engagements internationaux, ils peuvent aussi être déférés devant la cour constitutionnelle avant leur ratification soit par le président de la république, soit par le président de l’assemblée nationale, soit un député[7].
Le contrôle a posteriori : L’exception d’inconstitutionnalité permet à tout justiciable à l’occasion d’un procès en cours devant une juridiction de soutenir qu’une disposition législative par définition déjà promulguée est contraire à la constitution. La juridiction saisie sursoit à statuer et renvoie la disposition contestée devant la cour constitutionnelle (art. 96 al 4 de la constitution). Il ressort de cette disposition que les citoyens ne peuvent saisir la cour constitutionnelle directement.
II- L’ACCÈS AU PRÉTOIRE DU JUGE CONSTITUTIONNEL
Qui peut saisir la Cour constitutionnelle ?
Excepté les recours en matière électorale, l’introduction d’un recours en contrôle de constitutionnalité des normes est très restreinte (A) et la procédure devant la cour n’est pas contradictoire (B).
A- LES ORGANES HABILITES A SAISIR LE JUGE CONSTITUTIONNEL
Aux termes de l’article 43 de la loi organique portant création, organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle, cette dernière peut être saisi par :
-
- Le Président de la République
- Le président de l’Assemblée nationale ou un dixième des députés
- La commission électorale nationale indépendante,
- L’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains,
- La juridiction devant laquelle une exception d’inconstitutionnalité est soulevée
A Lecture de cette disposition, il apparait clairement que contrairement à la cour constitutionnelle Béninoise qui permet « à tout citoyen de saisir directement la cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois[8] », la constitution guinéenne à l’instar des constitutions française et sénégalaise ne permet pas aux citoyens d’introduire directement un recours en inconstitutionnalité des lois.
L’accès au juge constitutionnel n’est possible pour le citoyen que par voie d’exception à l’occasion d’un procès normal (non constitutionnel) devant les juridictions de droit commun.
Par ailleurs, selon l’article 44 al 8 de la loi organique relative à la cour constitutionnelle, la saisine de la cour par le Président de la République et l’Assemblée n’est valable que si elle intervient pendant les délais de promulgation fixées par les articles 78 et 80 de la constitution, c’est à dire avant la promulgation de la loi organique ou ordinaire. Toutefois, dans l’hypothèse où la loi déjà promulguée viendrait à être modifiée, le Président de la République et l’Assemblée Nationale pourront à nouveau déférer la loi modifiée à l’appréciation de la cour constitutionnelle dans les délais de promulgation.
B- LA PROCÉDURE DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL
Une procédure non contradictoire.
Aux termes de l’article 47 de loi organique citée plus haut « La procédure devant la cour n’est pas contradictoire…) et l’article 48 de la même loi dispose que « les audiences ne sont pas publiques et les parties ne peuvent demander à y être entendues… . ».
En faisant le parallèle avec le Conseil constitutionnel sénégalais, il résulte également que la procédure devant ce dernier n’est pas contradictoire et les parties ne peuvent exiger d’être entendues (articles 14 et 15 de la loi organique relative au conseil constitutionnel sénégalais du 14 juillet 2016).
On pourrait expliquer la prohibition du principe du contradictoire devant la Cour par le caractère objectif du contentieux constitutionnel.
Pour cela, il faut distinguer selon qu’il s’agit d’un contrôle a priori et d’un contrôle a posteriori.
Dans le premier cas « contrôle a priori » c’est à dire avant l’entrée en vigueur de la loi, la question du contradictoire n’a tout simplement pas lieu de se poser, parler d’application du principe du contradictoire comme le prétend certains avocats de l’opposition guinéenne relève tout simplement d’une impropriété du langage. Avant tout, le principe du contradictoire représente la loi des parties, c’est à dire que ce principe au sens strict n’a de sens que lorsque deux ou plusieurs parties font valoir des prétentions opposées devant un juge, ce qui n’est pas le cas dans d’un contrôle a priori où il n’y a ni parties, ni droits subjectifs en cause. Dès lors il n’y a pas lieu de s’interroger du respect du principe du contradictoire devant la cour constitutionnelle statuant dans le cadre d’un contrôle a priori d’une loi faute de véritable parties à la procédure.
Dans le second cas « contrôle a posteriori » c’est à dire à l’occasion d’une question préjudicielle posée à la cour constitutionnelle par une juridiction ordinaire, la question de l’application du principe du contradictoire est discutable. On pourrait soutenir que la procédure suivie devant la Cour constitue une sorte de « parenthèse » dans le procès (devant le juge ordinaire) qui vise non à statuer sur un droit subjectif, mais à trancher une question objective de constitutionnalité d’une loi applicable à l’instance, de tel sorte que le débat, se situerai entre législateur (loi) et le constituant (constitution).
En attendant l’intervention du juge constitutionnel ou d’une loi organique pour trancher cette question du principe du contradictoire lorsqu’est soulevée une exception d’inconstitutionnalité d’une loi , il faudra s’en tenir aux dispositions de la loi organique actuelle qui proscrit le principe du contradictoire du prétoire de Cour.
Pour conclure, il faudrait retenir que la Cour constitutionnelle est une juridiction spéciale régit par des règles dérogatoires au droit commun, chargée de contrôler la constitutionnalité des lois et règlements et la conformité des traités à la constitution dont l’accès est réservé aux organes politiques (Président, députés, C.E.N.I) et à l’institution de défense des droits humains (I.N.I.D.H) qui, seules, peuvent la saisir directement par voie d’action.
En l’état actuel de la législation guinéenne, les citoyens ne peuvent accéder au juge constitutionnel qu’à titre exceptionnel (exception d’inconstitutionnalité) indirectement par l’intermédiaire du juge ordinaire dans des conditions très limitées car les garanties procédurales “procès équitable, principe du contradictoire” ne sont admises devant l’office de la Cour.
M.B.H Juriste & fiscaliste